L'éducation nationale bientôt privatisée ?

"L'éducation nationale ne sera jamais privatisée" entend-on généralement. Pourtant, toutes les lois et mesures des gouvernements tendent à préparer cette privatisation en douceur...

Les politiques pour privatiser l'éducation sont d'une extrême cohérence. Elles agissent sur un point juridique et asphyxient les services publics actuels
Privatise t-on vraiment l'éducation ?

Foutaises ! diront ceux qui ne connaissent ni l'arsenal juridique mis en place depuis 1995, ni les politiques d'asphyxie actuelles utilisées pour décrédibiliser l'enseignement public. A moins qu'ils ne soient fortement intéressés à cette privatisation ...

Mais d'abord, pour mieux comprendre les raisons d'une privatisation qui ne sera surtout pas annoncée, une courte explication économique est nécessaire.
Lors des trentes glorieuses, l'enseignement était financé par l'impôt. A l'heure où l'impôt est dénigré, rappelons qu'il s'agit tout simplement d'un outil de répartition des richesses. Les plus gros contributeurs sont les grosses entreprises, les multinationales et l'étroite frange correspondant aux personnes les plus aisées de notre société.
Imaginons maintenant une société où l'éducation est totalement privatisée. Là, plus besoin d'impôts pour financer l'enseignement. L'éducation est totalement la propriété de ceux qui financent dans le modèle présédent des 30 glorieuses. Par contre, pour voir leurs enfants suivrent une éducation correcte, les parents doivent rémunérer les fournisseurs du service d'éducation (c'est le terme utilisé par l'AGCS que nous verrons bientôt). Ce service est un marche estimé à environ 3000 milliards d'euros.
Examinons maintenant le bilan financier des 2 catégories présentées ci dessus.
Pour les parents, ils passent d'une éducation quasi gratuite à une éducation très couteuse. Le coût estimé est de l'ordre de 10000 euros pour l'année d'un élève de CM2.
A l'opposé, celui qui fournira un service d'éducation passera de l'état "gros contributeur" à celui de bénéficiaire. Là, le gain est double !
Pas besoin d'être aveugle pour comprendre à qui s'adressent les politiques lorsqu'ils affirment que l'état coute cher et qu'il est nécessaire de faire des économies. Mais ce discours idéologique n'est que le support utilisé pour mieux faire passer les politiques actuelles, politiques très cohérentes comme nous allons le voir. Mais quelles en sont donc les principes ?
Tout d'abord, nous allons rapidement voir qu'elles s'appuient sur des canevas juridiques forts. Ces canevas sont présents au sein d'accords internationaux de l'OMC [1] mais aussi au sein de l'union européenne via les directives de la commission d'une part et le projet de constitution européenne d'autre part.
Mais ces politiques ne seraient rien sans le rôle des paradis fiscaux et la privatisation de la gestion des deniers publics visant à asphyxier nations et services publics.
Cadres juridiques
AGCS : Accord Général sur le Commerce des Services

L'AGCS [2], négocié au sein de l'OMC, est un accord très complexe. Cet article ne peut prétendre en faire le tour. Pour mieux comprendre cet accord, n'hésitez pas à vous reporter au livre d'Agnès Bertrand et Laurence Kalafatidès [3]. Signalons toutefois quelques mécanismes pour mieux comprendre sa finalité.
L'AGCS vise à privatiser la quasi totalité des services exceptées justice, police et armée. Tout le reste -- principalement santé et éducation -- est concerné.
Une particularité de cet accord est de n'être jamais abouti. Il est le résultat de négociations successives en vue de libéraliser tout ce qui peut encore l'être. Aussi, le fait -- pour l'éducation ou tout autre domaine -- d'être absent d'un cycle de négociation ne signifie en rien qu'elle ne le sera pas au cycle suivant.
En outre, la perversité de l'AGCS peut conduire chacun d'entre nous à contribuer financièrement à la mise en place des services privés. Cela est le résultat de la clause dîte « traitement de la nation la plus favorisée » . Cette clause permet à un fournisseur privé de service d'exiger les mêmes subventions que celles octroyées aux services publics. Ainsi, il suffit qu'une collectivité locale finance un collège et n'importe quel établissement privé d'éducation pourra exiger le même financement sous couvert de concurrence déloyale.
Pour la France, les négociations sont menées par l'Union Européenne, plus particulièrement par la D.G. au commerce [4]. Le processus de l'AGCS est déjà en cours.
Directives et traité constitutionnel en Europe

Au niveau européen, deux éléments juridiques visent fortement la privatisation de l'éducation. D'une part les directives, d'autre part le traité constitutionnel.
Les directives émises par la commission le sont sous la pression des lobbys favorables à la privatisation. Pour comprendre les mécanismes utilisés par les lobbys au sein de la commission européenne, lisez et relisez l'article « La commission européenne : une bastille à renverser » parue dans le volume 1 n° 2 de la revue l'écologiste [5] également disponible sur le site de l'urfig [6] La preuve de ce lobbying fut d'ailleurs mis en évidence dans le domaine des brevets logiciels [7]
Le traité constitutionnel européen [8] suit la même idéologie politique. Ainsi ce traité ne mentionne nulle part les termes de « services publics ». En lieu et place, vous y trouverez la notion de « Services d'Intérêt Economique Général » (SIEG). Cette terminologie prend tous son sens dans le cadre qui nous occupe.
Par ailleurs, ne cherchez pas non plus la définition des SIEG dans ce traité constitutionnel. Elle n'y figure pas ! Par contre les documents de la Commission européenne (Notes de 2000, Livre Vert de 2003, Livre Blanc de 2004) sont éloquents : les pouvoirs publics ne peuvent créer des services d'intérêt économique général que si deux conditions sont remplies :

* que le marché (l'initiative privée) ne fournisse pas le service
* que ce SIEG respecte les règles de la concurrence.

Asphyxions nations et services publics

Parallèlement à la mise en place de ces politiques -- lesquelles restent aussi secrètes que possible --, les états veillent à l'asphyxie des services publics via les finances publiques. Là se trouvent les prétextes aux « réformes » en tous genres permettant une privatisation progressive.
L'attaque n'est surtout pas frontale comme le préconisent d'ailleurs les cahiers de poliques économiques n° 13 de l'OCDE [9] : Si l'on diminue les dépenses de fonctionnement, il faut veiller à ne pas diminuer la quantité de service, quitte à ce que la qualité baisse.
On peut réduire, par exemple, les crédits de fonctionnement aux écoles ou aux universités, mais il serait dangereux de restreindre le nombre d'élèves ou d'étudiants.
Les familles réagiront violemment à un refus d'inscription de leurs enfants, mais non à une baisse graduelle de la qualité de l'enseignement et l'école peut progressivement et ponctuellement obtenir une contribution des familles, ou supprimer telle activité.
Cela se fait au coup par coup, dans une école mais non dans l'établissement voisin, de telle sorte que l'on évite un mécontentement général de la population. " [10]
Paradis fiscaux

Le rôle des paradis fiscaux est primordial dans ce contexte. Ils permettent l'évasion fiscale et l'annihilation des politiques sociales de redistributions. Là encore, le sujet est vaste et mérite des analyses approfondies. Un document publié sur internet [11] pose les bases d'une telle analyse.
Ajoutons une conséquence des paradis fiscaux. L'évasion fiscale ne rentre pas dans les caisses des états accentuant ainsi les déficits publics. Pour combler les trous, ces états se voient contraint d'emprunter auprès justement de ceux qui bénéficient des paradis fiscaux. Ensuite, plutôt que de dénoncer publiquement les paradis fiscaux, l'accent est mis sur les économies qu'il faut réaliser car paraît-il, l'état coûte cher .
Argent public

L'AGCS -- encore lui --, joue également un rôle asphyxiant. Nous avons déjà vu comment avec Le traitement de la nation la plus favorisée . Mais ce n'est pas la seule technique. L'AGCS se verrait bien gérer les deniers publics. L'argent de nos impôts serait alors investi dans la bourse, les fonds de pension américains ou d'ailleurs. La politique de nos nations sera alors soumise aux caprices du marché. Voilà qui explique les actuelles massives suppressions d'emploi au ministère des finances ...
La constitution européenne est également très claire à ce sujet. L'Article III-166, 2 dit : Les entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général ou présentant le caractère d'un monopole fiscal sont soumises aux dispositions de la Constitution, notamment aux règles de concurrence .
Le discours néo libéral vise à faire oublier le rôle de l'impôt comme outil de répartition des richesses. Tout est fait pour casser cette image et l'on ne compte plus les mesures et publicités destinées à réduire nos impôts. N'oublions pas à qui profitent réellement ces mesures. Prenons garde à l'autre facette de l'impôt : celle d'un outil d'oppression à l'usage des saigneurs. Le traitement de la nation la plus favorisée en constitue les prémices d'un retour fracassant.
Privatisations rampantes tous azimuts

La méthode n'est pas nouvelle et Serge Halimi, lors de l'émission Là bas si j'y suis l'a fort bien analysée [12].
Notons également que cette méthode est employée en Nouvelle Zélande avec une avance conséquente par rapport à la France ( La France est en retard nous rabâche t-on sans cesse). Et puis, inutile d'aller à l'autre bout du globe. France télécom, La poste, ..., montrent fort bien les mécanismes à l'oeuvre chez nous.
Lutter

Face à ces privatisations en cours, NOUS NE DEVONS PAS LAISSER LES ENSEIGNANTS SEULS . Nous devons, parents, enseignants, élèves nous retrouver tous ensemble pour lutter. Il faut de surcroit incrire nos luttes dans la durée et ne pas laisser s'épuiser l'une ou l'autre catégorie.


[1] OMC : Organisation Mondiale du Commerce
[2] Analyse de l'AGCS par l'institut pour la relocalisation de l'économie
[3] « OMC, le pouvoir invisible » ; Editeur fayard.
[4] dirigée par le commissaire Pascal Lamy dans la précédente commission
[5] Revue l'écologiste
[6] Analyse du fonctionnement de la commission européenne
[7] Logiciels et formats de données
[8] Traité constitionnel au format pdf
[9] Organisation de coopération et de développement économiques
[10] Cahiers de politique économique n°13
[11] paradis fiscal, enfer social
[12] Technique rampante de privatisation

Ce texte de Jean-Claude Caty est issu du site http://yonne.lautre.net/article.php3?id_article=995
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